CHAPITRE UN

Le rêve commençait par un battement d’ailes. Avec le recul, je me rends compte que j’aurais dû y voir un mauvais présage, les Corbeaux Moqueurs étant désormais en liberté. Mais ce n’était qu’un bruit de fond, comme le ronronnement d’un ventilateur, ou la télévision allumée sur les télé-achats.

Je me tenais au milieu d’une prairie magnifique. Il faisait nuit ; l’énorme lune qui flottait au-dessus des arbres projetait une lueur bleu argenté tellement forte qu’il y avait des ombres. J’avais l’impression d’être dans l’eau, les herbes hautes agitées par la brise caressaient mes jambes nues telles des vagues léchant le rivage. Mes épais cheveux, doux comme de la soie, se soulevaient sur mes épaules dénudées.

Jambes nues ? Epaules dénudées ?

Je baissai les yeux et poussai un petit cri de surprise. Je portais une robe blanche en daim franchement courte. Un grand V y était découpé à l’avant comme à l’arrière, révélant ma peau. C’était une robe superbe, décorée de franges, de plumes et de coquillages. Elle semblait luire au clair de lune. Des perles formaient des dessins complexes, incroyablement beaux, sur toute sa longueur.

J’ai une imagination vraiment trop cool !

Cette robe me rappelait quelque chose, mais je ne cherchais pas à savoir quoi. Je n’avais pas envie de me casser la tête – je rêvais ! Je me mis à danser dans la prairie, me demandant si Zac Efron, ou même Johnny Depp, allait apparaître soudain pour flirter avec moi.

Je tournoyais et me balançais au gré du vent quand je crus voir les ombres vaciller de façon bizarre entre les arbres. Je m’arrêtai, essayant de percer l’obscurité.

Alors, il apparut.

À la lisière de la forêt, une forme s’était matérialisée. La lune éclairait les lignes fluides de son corps nu. Nu ?

Mon imagination commençait-elle à dérailler ? Je n’étais pas vraiment d’humeur à batifoler dans un pré avec un inconnu.

— Tu hésites, mon amour ?

Je frissonnai. Des ricanements moqueurs s’échappèrent d’entre les branches.

— Qui êtes-vous ? lançai-je en espérant que ma voix ne trahissait pas ma peur.

Il rit. Ce son, profond et beau, était pourtant effrayant. Presque visible, il remplissait l’air.

— Tu prétends ne pas savoir qui je suis ?

Sa voix caressait ma peau, me donnait la chair de poule.

— Si, je le sais. Je vous ai inventé. C’est mon rêve. Vous êtes un mélange de Zac et de Johnny.

Malgré ma nonchalance apparente, mon cœur battait la chamade, car il ne faisait aucun doute que ce type n’était pas une combinaison des deux acteurs.

— Ou alors, vous êtes Superman, ou le Prince Charmant.

— Je ne suis pas un produit de ton imagination. Tu me connais. Ton âme me connaît.

Sans le vouloir, je m’avançai vers lui, comme hypnotisée. Je levai les yeux…

Kalona ! Je l’avais su dès qu’il avait ouvert la bouche. J’avais simplement refusé de l’admettre.

Un cauchemar ! C’était un cauchemar, pas un rêve.

Son corps nu n’était pas complètement solide : il tremblait et se transformait au rythme du vent. Derrière lui, dans les ombres vertes, j’apercevais les silhouettes de ses enfants, les Corbeaux Moqueurs. Ils s’accrochaient aux arbres avec des mains et des pieds d’homme et me fixaient avec des yeux humains plantés dans des têtes d’oiseaux mutants.

— Tu prétends toujours ne pas me connaître ?

« Même si c’est un cauchemar, c’est le mien, pensai-je. Je peux me réveiller. Je veux me réveiller ! Je veux me réveiller ! »

Mais je ne pouvais pas. C’était Kalona qui avait le contrôle. Il avait construit ce rêve effrayant, cette prairie ténébreuse, et m’y avait emmenée, je ne savais comment, avant de claquer derrière nous la porte de la réalité.

— Qu’est-ce que vous voulez ? lâchai-je.

— Tu sais ce que je veux, mon amour. Je te veux, toi.

— Je ne suis pas votre amour !

— Bien sûr que si, dit-il en s’approchant si près que je sentais le froid qui émanait de son corps sans substance. Tu es mon A-ya.

A-ya était le nom de la vierge que les Femmes Sages du peuple cherokee avaient créée, des siècles plus tôt, pour le piéger. La panique m’envahit.

— Je ne suis pas A-ya !

— Tu commandes les éléments.

— C’est un don de ma déesse.

— Autrefois déjà, tu les as commandés. Tu es née pour m’aimer.

Ses grandes ailes noires se déplièrent et il les referma autour de moi dans une étreinte spectrale.

— Non ! Vous me confondez avec quelqu’un d’autre. Je ne suis pas A-ya.

— Tu as tort, mon amour. Son cœur bat en toi.

Ses ailes se pressèrent contre moi, m’attirant à lui. Malgré la forme volatile de l’apparition, je sentais leur contact, doux et frais. La brume glaciale qui enveloppait son corps me brûlait la peau, propageait en moi des courants électriques, m’enflammant d’un désir contre lequel j’essayais désespérément de lutter.

J’avais tellement envie de me noyer dans son rire séduisant ! Je me penchai en avant, les yeux fermés, et je haletai quand son souffle m’effleura. Des sensations douloureuses et pourtant délicieuses me faisaient perdre la tête.

— Tu aimes cette souffrance. Elle te donne du plaisir.

Ses ailes me pressèrent plus fort, son torse devint encore plus froid.

Des volutes d’une fumée noire et glaciale s’enroulaient autour de moi, insistantes…

— Rends-toi à moi, dit-il de sa voix magnifique, irrésistible. J’ai passé des siècles dans tes bras. Cette fois, c’est moi qui vais être maître de notre union, et tu t’en délecteras. Libère-toi des chaînes de ta déesse lointaine et viens à moi. Laisse-toi aller, entièrement, et je t’offrirai le monde !

Le sens de ces mots transperçait lentement la brume de douleur et de plaisir dans laquelle je baignais, tel le soleil chassant la rosée. Peu à peu, je retrouvai ma volonté.

Je m’ébrouai comme un chat agacé par la pluie.

— Non ! Je ne suis pas votre amour. Je ne suis pas A-ya. Et je ne tournerai jamais le dos à Nyx !

En prononçant le nom de la déesse, je me réveillai.

Je me redressai, haletante. Lucie dormait à poings fermés à côté de moi. Nala, elle, grognait doucement. Le dos arqué, les poils hérissés, elle regardait un point au-dessus de moi.

— Oh, non ! hurlai-je, et je bondis du lit.

Je m’attendais à voir Kalona sous le plafond de ma chambre, telle une énorme chauve-souris.

Il n’y avait rien.

Je pris Nala dans mes bras et me rassis. Les mains tremblantes, je la caressai en répétant :

— Ce n’était qu’un cauchemar… Ce n’était qu’un cauchemar… Ce n’était qu’un cauchemar…

Cependant, je savais que c’était faux.

Kalona existait vraiment, et il pouvait entrer dans mes rêves.

[La Maison de la Nuit 05] Traquée
titlepage.xhtml
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_000.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_001.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_002.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_003.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_004.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_005.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_006.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_007.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_008.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_009.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_010.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_011.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_012.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_013.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_014.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_015.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_016.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_017.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_018.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_019.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_020.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_021.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_022.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_023.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_024.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_025.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_026.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_027.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_028.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_029.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_030.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_031.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_032.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_033.htm
La Maison de la Nuit Traquee - Kristin Cast_split_034.htm